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Identité

Qui suis-je ? Cette question chacune, chacun d’entre nous se l’est posée au moins une fois dans sa vie. Généralement il s’agit d’une question prise sous l’angle philosophique, psychologique voire psychiatrique : c’est la question de la personnalité.

Il y aussi un autre aspect, plus technique : l’identité, c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques à même de nous définir non pas dans notre rapport à nous-mêmes mais dans notre rapport aux autres. Ici tout l’enjeu consiste à réduire les incertitudes : celui ou celle que j’ai en face de moi est-il ou est-elle bien celui ou celle qu’il ou elle prétend être.

Depuis toujours, pour résoudre ce problème, on pratique une triangulation : chacune des deux parties en présence se réfère à une troisième, conjointement acceptée comme référente et qui joue le rôle de garante. Évidemment, tout l’intérêt de la chose réside dans la nature du référent.

Le moyen le plus ancien est reconnaissance par la filiation : nous sommes tous fils et filles de nos parents. Cela se retrouve dans certains noms anglo-saxons : Jackson (le fils de Jack), Olavsson (le fils d’Olaf)… et quand les parents étaient inconnus, il était de coutume de nommer les enfants trouvés selon le lieu où ils avaient été trouvés : d’où des patronymes tels que Nevers, Kermadec ou autre.

La reine Elizabeth II

Le moyen le plus courant aujourd’hui est la reconnaissance de l’identité par l’État qui émet des documents officiels d’identité. D’ailleurs il suffit de bien lire la dernière page de son passeport pour s’apercevoir qu’on en est pas propriétaire. Et d’ailleurs comme au Royaume Uni les passeports sont délivrés au nom du souverain, la reine Elizabeth n’en a tout simplement pas car cela n’aurait pas de sens.

Deux tendances viennent perturber cette mécanique bien huilée. Les formes électroniques d’identité, tout d’abord. Utiliser son compte Facebook ou son adresse Gmail pour s’identifier sur le web, c’est faire de Facebook ou de Google des référents qui se substituent à l’État.

Comme tout se fait sur le web, on comprend facilement pourquoi les géants du web accordent beaucoup d’importance aux services d’identification. Et on comprend aussi pourquoi les États sont si attachés au cloud souverain. S’ils perdent la partie, les États seront uberisés, tout simplement.

Robert Nozick

L’autre tendance c’est l’identité par la communauté d’appartenance : ici nombre de paramètres peuvent entrer en ligne de compte et même se superposer : religion, sexualité, goût ou intérêt. Il existe autant de communautés que de choix possibles. Cette forme d’identité par l’adhésion est une sorte de scotch double face. Il ne suffit pas de se proclamer de telle ou telle appartenance, il faut également se faire reconnaitre comme tel. D’où l’importance de cérémonies –publiques et collectives — comme le baptême, par exemple.

En poussant un peu la réflexion on en arrive à questionner la place de même de l’État. Après tout, ne pourrait-on pas s’en passer, tout simplement ? C’est la question que pose le philosophe Robert Nozick dans un ouvrage qui a fait date : Anarchie, État et utopie (Puf).

Alors, s’identifier sur un site web, est-ce un peu détruire l’État ? Une question à réfléchir en confinement…

À demain, 21 heures

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Équilibre

L’équilibre fait partie de ces notions qui peuvent être totalement théoriques ou complètement pratique. En psychologie (voire même en psychiatrie) on recherche l’équilibre du caractère. En art on recherche l’équilibre. L’équilibre des couleurs, par exemple, contribue à l’esthétique d’une œuvre. Les cavaliers eux aussi cherchent à mettre leur monture en équilibre.

Pour le dire en termes mathématiques, l’équilibre peut être vu comme la dérivée de la stabilité dans le temps. Il est possible de trouver ponctuellement une situation de stabilité. Il est plus compliqué d’étendre cette situation à un continuum temporel. Car il faut le noter, l’équilibre est une notion qui implique de s’inscrire dans le temps.


Décomposition de la marche

Certaines situations n’ont d’équilibre que l’apparence. La marche à pieds, par exemple, n’est pas un équilibre mais une série de déséquilibres qui s’enchainent. Cela peut paraitre étonnant, mais on tombe en marche, littéralement. À cette image, trouver une situation d’équilibre consiste à s’inscrire dans une dynamique. Assez paradoxalement, l’équilibre est un mouvement perpétuel. On peut reprendre ici un joli ver de Paul Verlaine (in Mon rêve familier), l’équilibre n’est à chaque fois ni tout à fait [le] même, ni tout à fait [un] autre.

Gérard Debreu

Et si les équilibres sont fragiles c’est que, précisément, il faut savoir doser le mouvement. D’ailleurs, la recherche de l’équilibre général est un problème récurrent en science économique. Et c’est pour avoir travaillé sur cette question que Gérard Debreu a obtenu un prix Nobel d’économie. Avec K. Arrow, il propose en 1954 un modèle qui fait référence bien qu’il ne soit pas exempt de critiques.

Près de soixante-dix ans après la proposition de Debreu, il est tentant de faire un parallèle entre l’équilibre général et le développement durable ; car, après tout, entre ces deux notions il n’y a qu’un pas. Trouver un équilibre permet de s’inscrire dans le temps et donc certainement de faire durer les choses.

Vu sous cet angle, le développement durable peut être considéré comme une démarche économique et pas seulement environnementale. On peut même aller plus loin et se dire qu’il est possible pour chacune et chacun d’entre nous de s’inscrire dans une démarche durable qui ne se limite pas à des gestes environnementaux, mais qui s’incarne dans des gestes du quotidien.

Or, plus largement, pour chacune et chacun d’entre nous, bien souvent, sous la notion d’équilibre se cache en réalité une recherche de sérénité. Il ne s’agit pas d’être bien dans sa peau ponctuellement, mais de trouver un état d’équilibre qui, seul, permet de s’inscrire dans la durée et donc de construire pour l’avenir.

La sérénité, voilà précisément ce que cherchent les protagonistes de En équilibre, un film à regarder en confinement, pour se mettre sur le chemin de la recherche de l’équilibre.

À demain, 21 heures

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Saison 2

Pour suivre l’actualité, 21 heure devient une chronique de confinement. Vous avez aimé la saison 1 ? Vive la saison 2, en quelque sorte.

Sisyphe poussant son rocher

Vivre au gré des saisons est-il un éternel recommencement ? Sommes-nous toutes et tous des Pénélope ou des Sisyphe ? Les cycles de la vie nous mènent-ils sur des chemins absurdes, comme l’a démontré Albert Camus ? (in Le mythe de Sisyphe) ? Rien de moins sûr car au delà des cycles, la progression du monde se fait aussi par oscillations. En effet, la notion de boucle, inhérente aux cycles est absente du concept d’oscillation.

La saison 2 n’est pas seulement la suite ou le prolongement de la saison 1, elle peut en être également l’explication. Bien souvent, la connaissance de la saison 2 permet de comprendre la saison 1. « Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! » disait le commissaire Bourrel.

Le Commissaire Bourrel, dans Les cinq dernières minutes

En réalité, progresser c’est osciller entre curiosité et réflexion : on se pose une question puis on cherche une réponse qui bien souvent entraîne une nouvelle question… C’est le fameux si, alors, si de la recherche scientifique qui progresse pas à pas et d’une oscillation à une autre. Pour le dire autrement, la recherche scientifique consiste à poncer un sujet (comme disent les ado).

Un expert est quelqu’un qui a fait toutes les erreurs qui peuvent être faites dans un domaine restreint

Niels Boh

Dans une certaine mesure, progresser en mode essai-erreur c’est aussi avancer par oscillations. Quand on hésite, on fait du sur-place, en revanche, quand, ayant clos un sujet, on l’ouvre à nouveau pour entamer une saison 2, on avance. Remettre son ouvrage sur le métier n’est pas forcément hésiter, c’est avancer.

Alors que nous entamons la saison 2 du confinement, profitons-en pour entamer une saison 2 de nos introspections.

À demain, 21 heures.

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Frontières

Les frontières sont des points de rencontre tout autant que des lignes de séparation. Les frontières permettent la rencontre entre la géographie et le droit, et elles manifestent la séparation entre les territoires et les peuples. Les frontières sont le prétexte à des échanges commerciaux tout autant qu’à des conflits d’intérêts. Les frontières témoignent de l’histoire des peuples. Encore aujourd’hui certaines frontières sont des plaies à peine cicatrisées, comme c’est le cas en Irlande.

Au cours du second XXeme siècle (pour reprendre l’expression du pr. J. Mathiex) rien n’illustrait mieux cette réalité que Checkpoint Charlie, situé sur le mur de Berlin, qui a longtemps incarné la notion même de frontière. En 1986, Bernard Lavilliers a consacré une très belle chanson à la frontière, qui illustre bien les enjeux quotidiens des frontières pour de nombreux peuples.

Bernard Lavilliers, La frontière (in Voleur de feu, 1986)

Souvent minces, les frontières sont pourtant réelles et assez omniprésentes. Classer et organiser consiste bien souvent à établir des frontières. En médecine, en biologie, en astronomie, en chime et dans bien d’autres domaines, les scientifiques classent et ordonnent pour chercher à comprendre, quitte parfois à créer de nouvelles catégories ou à faire passer telle ou telle réalité d’une catégorie à une autre. En faisant avancer la connaissance repousse les frontières du savoir.

Dans l’industrie également, les frontières sont nombreuses. On les retrouve notamment dans les démarches de normalisation mais aussi dans la Nomenclature d’activités françaises (le fameux code Naf des entreprises) qui structure une partie de la vie économique de notre pays.

Mais la frontière la plus intéressante est certainement celle qui permet à la démocratie de s’exprimer. Une majorité issue d’un vote permet d’affirmer que ce qui rassemble est plus fort que ce qui sépare. Parce qu’elle n’est pas la loi du plus fort mais celle du plus grand nombre, la démocratie peut être considérée comme une recherche de consensus et donc d’adhésion. La démocratie est une frontière de la civilisation.

Au quotidien, nous vivons tous sur des frontières, qui sont autant de cordes raides. Chacune et chacun de nous vit en réalité en équilibre. Voilà de quoi méditer quand le couvre feu matérialise la frontière entre vie publique et vie privée.

À demain, 21 heures

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Vérité

Toute vérité est-elle bonne à dire ? Alors qu’on serait tenté de répondre par oui ou par non, il est préférable de faire un pas de côté pour trouver une alternative plus élégante. Ici la question n’est pas de savoir ce qu’on va dire mais plutôt à qui on va le dire. On peut tout dire, à tout le monde, mais pas n’importe comment.

La vérité sortant du puits (1896) – JL Gérôme

Quand on cherche à dire des choses qu’on pense vraies ou justes ou simplement importantes, il s’agit d’y mettre un minimum de formes pour les rendre acceptables par celui ou celle à qui on les destine. Même démontrée, une vérité ne doit pas être jetée à la figure de son interlocuteur. Il n’y a rien de pire que de dire ses quatre vérités à quelqu’un.

Et autant cette démarche semble évidente à comprendre en ce qui concerne des relations interpersonnelles (amicales, professionnelles ou amoureuses), autant elle est compliquée à étendre à la vie en société. La société en effet, c’est tout le monde et personne à la fois. La société est anonyme, en quelque sorte, pourrait-on se dire.

C’est ici que la devise de la République (liberté, égalité, fraternité) peut nous venir en aide car ce qui est en jeu c’est bien la fraternité. La notion de fraternité implique bien entendu de la solidarité, mais pas seulement, c’est aussi la manifestation de ce qu’on souhaite construire ensemble pour l’avenir. Et donc jeter ses vérités à la face de la société sans prendre de précaution la met en péril car une agression peut en déclencher une autre.

Emmanuel Jaffelin, Éloge de la gentillesse (2010)

Faut-il pour autant se réfugier dans le politiquement correct ? Rien de moins certain. C’est d’ailleurs une question abordée par Emmanuel Jaffelin dans son Éloge de la gentillesse. Être gentil ce n’est pas être mièvre ou mou du genou. Être gentil c’est être serviable et constructif. C’est se projeter dans l’avenir et, pour reprendre une expression bien connue, c’est chercher à regarder dans la même direction que son interlocuteur.

Œil pour œil rendra le monde aveugle disait Gandhi. Voilà certainement une maxime à méditer pendant le couvre feu.

À demain, 21 heures.

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Le pain

De l’eau, de la farine et du sel. Et c’est tout. Depuis la nuit des temps l’homme fabrique du pain pour se nourrir. La forme et le goût du pain peuvent varier d’un pays à l’autre ou d’une époque à l’autre, mais le principe est toujours le même. Le pain est un aliment à la foi minimal par le nombre de ses composants et essentiel à la vie et à la survie des peuples, partout dans le monde où on cultive le blé.

En France le pain est un aliment tellement important à la fois culturellement et économiquement que sa composition et sa dénomination sont fixés par la Loi. Aujourd’hui on en consomme environ cent vingt grammes par jour et par personne, ce qui représente moins d’une demi-baguette (et surtout, presque dix fois moins qu’en 1900). Faire du pain soi-même est loin d’être aussi facile qu’il n’y paraît car en dépit de la simplicité apparente des ingrédients et de la recette, les paramètres sont nombreux et le savoir peut faire tout changer.

Pétrir pour faire du pain

C’est certainement pour ça que parler du pain c’est aussi parler d’alchimie. Le pain est une transmutation car les réactions qui s’opèrent lors de sa fabrication ne sont pas réversibles et surtout, passer du blé au pain met en jeu les quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu. En un mot, le pain c’est la vie.

De façon plus poétique, le pain permet de symboliser le travail. Le travail de l’être humain mais aussi le travail de la nature qui donne le blé et le travail de ses ingrédients qui interagissent les uns avec les autres pour arriver au résultat final, qui d’ailleurs ne correspond pas toujours à ce qu’on attendait. Naturellement, les progrès de la techniques ont résolu nombre de difficultés et les boulangers ne ratent plus que rarement leurs fournées mais faire du pain, c’est un peu partir à l’aventure.

Faire du pain, ce n’est pas seulement la promesse d’une bonne odeur dans la maison ou du plaisir de la dégustation. Le pain c’est surtout la satisfaction du travail bien fait. Une satisfaction bien agréable quand arrive le couvre feu.

À demain, 21 heures

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Temporalités

S’il y a une notion qui a changé au cours des cinquante dernières années, c’est bien le présent. Alors, naturellement, une heure dure toujours une heure mais la surenchère technologique a tout rendu efficace et donc rapide. Ce qui s’est accéléré c’est le rythme auquel nous vivons. Du four à micro-ondes à Twitter, tout va plus vite : les pâtes cuisent plus vite, les informations circulent désormais à la vitesse de l’électron. Et dans ce contexte la tentation de tout analyser à chaud est grande. On passe d’une indignation à l’autre et un clou chasse l’autre à un rythme effréné.

Or, penser et même vivre demandent du temps. Pour réfléchir il est nécessaire de prendre son temps, pour, comme dit joliment une amie, poser son cerveau. Parce que si nous tendons tous vers l’avenir, il ne faut pas oublier que nous venons du passé. Ou, pour le dire de façon plus imagée, parce que le présent réalise le passé et préfigure l’avenir.

Civilisations impériales, Éditions du Félin.

Prendre son temps pour analyser à froid, c’est ce qui fait tout l’intérêt de la démarche historique et c’est même pour cela que nombre d’archives sont mises au secret pendant cinquante ans, voire même soixante-dix ou cent. L’histoire ne se fait pas au fil de l’eau. Elle se vit au passé. Faire de l’histoire c’est en quelque sorte poncer la vie.

Alors que le nouveau millénaire s’annonçait, le professeur Jean Mathiex publiait Civilisations impériales. En deux tomes, on peut ainsi découvrir la Grèce et Rome mais aussi l’Inde et le Portugal, la Russie, les mondes chrétiens et musulmans. Et comme il s’agit d’un ouvrage d’historien, il est tout à fait possible de s’y replonger aujourd’hui. Le style a vieilli mais les analyses permettent d’éclairer nombre de réalités du quotidien.

Ce livre est épuisé. Il faudra donc aller le lire en bibliothèque. Mettre Twitter en pause, arrêter de vivre au rythme de BFM et prendre son temps pour comprendre d’où nous venons. Cela permettra aussi d’éclairer les directions à prendre. Une activité à faire en couvre feu, somme toute.

À demain, 21heures.

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Architecture

La durée est certainement ce qui frappe le plus quand on s’intéresse à l’architecture. Construire, en effet, c’est bien sûr s’inscrire dans l’espace mais c’est aussi et peut-être surtout s’inscrire dans le temps. C’est sans doute pour cela que l’architecture est un art aussi conceptuel. Il faut imaginer, envisager et prévoir. L’architecture permet de donner corps à une vision du monde qu’on peut proposer ici et maintenant mais qu’on peut également proposer aux générations futures.

Une émission de la série Architectures

Depuis 1996, la série Architectures analyse des constructions qui ont marqué le temps. Je suis toujours frappé et séduit par l’esthétique de cette série : des épisodes courts, un style minimaliste, un commentaire qui semble neutre (en apparence du moins), des plans chirurgicaux. Il y a dans la série Architectures une dimension d’intemporalité qui incarne tout à fait le rapport au temps qui est celui des constructions analysées.

Mais si l’architecture est un des beaux-arts, c’est certainement également le plus politique, au sens premier du terme : l’organisation de la cité et plus largement l’organisation d’un pays. On passe alors de l’architecture à l’urbanisme. Regarder un plan (d’un quartier, d’une ville, d’un pays) donne souvent une bonne vision de l’organisation politique sous-jacente. Prenons une carte de France. Regardons les réseaux de transport. Qu’ils soient ferroviaires ou routiers, ils font de Paris le centre du pays. Le jacobinisme qui prévaut depuis la Révolution (et qui, en réalité, remonte à Louis XIV) est en quelque sorte incarné dans les infrastructures de notre pays.

En passant des constructions à l’urbanisme, on passe de l’inerte et et de l’intemporel au social et l’historique. En réalité, étudier l’architecture, c’est étudier la vie.

À demain, 21 heures